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Abrégé historique sur la ville de Lunel

par Claude Raynaud

 

Lorsque l’on arrive des Cévennes ou de la vallée du Rhône, Lunel marque l’entrée dans un paysage de vastes étendues planes, les palus qui entourent l’étang de l’Or et le delta du Vidourle. Lunel, porte de la Camargue : la formule n’est pas usurpée, tant sur un plan géographique qu’à l’égard de l’enracinement des traditions camarguaises dans cette ville, haut lieu de la bouvine. Cette dimension culturelle repose sur la position historique de Lunel qui, en effet, joua à travers les siècles un rôle de premier plan dans la vie politique et l’économie du littoral.
La région lunelloise connaît depuis trois décennies d'importantes recherches archéologiques. Ces travaux ont porté dans un premier temps sur l’oppidum gaulois et l’agglomération gallo-romaine d’Ambrussum, puis sur le village gallo-romain et médiéval de Lunel-Viel. Parallèlement, l'ensemble du canton a fait l’objet d’un recensement systématique des sites, du Néolithique jusqu’au Moyen Age. Par contraste avec ces recherches, les premiers temps de la ville de Lunel demeurent mal cernés. Depuis la publication de l'Histoire de la ville de Lunel par Thomas Millerot en 1891, aucune recherche d'ensemble n'est venue compléter ce travail pionnier, très bien documenté mais dont on ne peut plus se satisfaire en ce qui concerne le début du Moyen Age.

Naissance et développement de la ville

L'émergence puis le développement de la ville de Lunel demeurent mal cernés. Les sources écrites qui citent Lunel à partir du XIe siècle mentionnent un seigneur Gaucelm en 1007 puis un castrum (c'est à dire un château autour duquel se développe une agglomération) en 1035. Si l'on admet qu'autour de l'An Mil il existait une agglomération à Lunel, on ignore à quand remonte l'occupation du site et quelle en était la forme initiale. Il ne fait aucun doute cependant que Lunel, nommée Lunel-Neuf jusqu'au XVIe siècle, est une création médiévale, contrairement à l'idée tenace d'une fondation à l'époque romaine. Cette hypothèse avait été avancée sans preuve par les premiers historiens de la ville, au XIXe siècle. Lunel romaine est ailleurs, c'est bien sûr Lunel-Viel où l'archéologie a révélé la présence d'une agglomération dynamique depuis le Ier siècle.


La carte dite de Cassini montre la situation de Lunel à la veille de la Révolution. Les voies de communication témoignent de l'apparition de Lunel après celle de Lunel-Viel : Lunel n'est raccordée qu'après coup à l'ancien chemin de Nîmes, comme le montre l'infléchissement de la route royale passant à Lunel. La campagne porte la trace des anciens villages désertés: Saint-Jean-de-Noix, Saint-Pierre-d'Aubillon, Saint-Julien, Dasports. Les cartes anciennes sont de précieux documents pour les historiens.

L'effet de la création du castrum de Lunel sur le peuplement rural ne tarda pas à se faire sentir à travers l'abandon de plusieurs habitats établis depuis l'époque romaine. Là encore, l'archéologie a fait parler le sol lunellois, particulièrement sur le site de l'ancien hameau de Dassargues où des fouilles réalisées avant la construction du centre commercial, ont livré d'importants résultats, montrant le déclin de cet habitat d'origine romaine dès le XIIème siècle. Voilà le signe le plus tangible du dynamisme de la ville naissante, sous l'initiative seigneuriale des Gaucelm. A la fin du XIIIe siècle, un recensement montre que Lunel était devenue une ville de plus de 5000 habitants, et fait état de la présence de 48 foyers juifs représentant près de 250 personnes. Groupée autour d'un actif foyer intellectuel aux XIIe et XIIIe s., dont le rayonnement dépassait amplement la région, la communauté judaïque était probablement constituée d'émigrés chassés d'Espagne par les sultans almohades.

L'analyse de la topographie du centre ancien, éclairée par quelques mentions d'archives, permet d'envisager les étapes du développement de la ville autour du château, ce regroupement de population pouvant s'expliquer autant par le mouvement démographique que par le regroupement des habitants des localités abandonnées. Le plan du centre ville met en évidence les étapes de ce développement, tandis que des indices architecturaux, permettent d'en situer les étapes.


Analyse du centre ville d'après le cadastre du début du XIXe siècle (doc. M. Ott, Atelier d'Archéologie).

Dans la partie sud du vieux centre, on remarque une parcelle centrale, massive et qu'aucune rue ne traverse (en vert sur le plan, zone n° 1). Dans cet îlot ramassé couvrant un peu plus d’un hectare sur lequel se trouve aujourd'hui l'école Henri de Bornier, on peut localiser le vieux castrum. Pourtant, nul relief ne marque l’emplacement de ce premier château qui devait s'élever sur une "Motte", un mamelon artificiel comme à Mauguio. C'est probablement le démantèlement des fortifications pendant les guerres de religion qui fut la cause de cet effacement des vestiges. Seules des fouilles dans cet îlot permettraient de préciser la nature du premier castrum ainsi que sa date d'apparition, probablement autour de l'an mille.
Dans un second temps qu'il est difficile de dater, la parcelle centrale se trouve enveloppée par une trame grossièrement rectangulaire couvrant près de 9 ha, délimitée par des parcelles étirées en lanière qui dessinent le tracé d'une première enceinte (en bleu foncé sur le plan, n° 2). Certains tronçons subsistent encore entre les maisons plus récentes, et c'est un jeu de piste de suivre cette enceinte en découvrant le vieux centre. L'élément le plus remarquable est la porte Notre-Dame qui a conservé son ouverture médiévale en plein cintre à petits claveaux, évoquant une construction du XIIe siècle, de même que la tour qui la flanque à l’ouest, à l'actuelle Maison de la Justice (n° 4). L’importance de cette porte pour l’accès au premier castrum se manifeste dans l’attraction qu’elle exerçait sur la voirie, tant à l’intérieur de l’enceinte qu’à l’extérieur, où s’était formée une « patte d’oie » (rues soulignées en rouge). Au Sud, la circulation empruntait la porte Condamine, aujourd'hui disparue mais localisée sur un plan du XVIIIe siècle. A l’angle nord-ouest de cette première enceinte urbaine, se trouvait un cimetière Notre-Dame encore mentionné sur le cadastre napoléonien (n° 8). Ces observations incitent à situer cette fortification au XIIe ou XIIIe s., sans grande précision faute d'attestation écrite ou d'élément archéologique.
Dans cette enceinte subsistent des constructions civiles, en particulier une grande maison gothique dans la rue Ménard, aux baies décorées caractéristiques du XIVe siècle, la "maison Philippe le Bel". Pourquoi ce nom ? Le roi n'est jamais venu à Lunel mais le visage qui décore l'une des fenêtres est traditionnellement interprété comme le portait du roi. Peu crédible, cet argument est pourtant étayé par d'autres signes : les mains et les fleurs de lys qui accompagnent ce visage marquent un lieu de pouvoir, probablement le logis d'un représentant du roi.

Maison gothique dite "Philippe le Bel", vue générale et détail d'une fenêtre gothique (clichés Cl. Raynaud)

Plus au sud dans la rue Alphonse Ménard se trouve la synagogue présumée, selon la tradition locale qu'aucun document d'archive ne permet de confirmer (n° 3). Cette localisation est très probable, mais si le bâtiment présente une technique de construction caractéristique du XIIe ou du XIIIe siècle, il a été abondamment remanié au XIXe siècle lors de sa transformation en remise. La présence d’une pièce en sous-sol munie d’un bassin milite en faveur d’une fonction rituelle, mais seule une étude archéologique pourrait éclairer l’organisation initiale et la fonction de l’édifice. En l’état, la localisation de la synagogue dans la rue Ménard demeure une hypothèse plausible.
Cette première enceinte laissait de côté l'église Notre-Dame, sans qu’une telle localisation n’ait rien d’exceptionnel à l’époque (n° 6). Isolée ou peut être encadrée par un quartier hors les murs, l’église jouait aussi un rôle dans ce premier développement urbain, notamment en attirant l'activité marchande qui s'était groupée près de la porte mentionnée plus haut.
Par la suite, l'église Notre-Dame s’est trouvée englobée dans un troisième « cerne de croissance » lorsque la ville s’est étendue vers le Nord, jusqu’au « fossé de la ville » dont on ignore la date de creusement et dont subsiste le souvenir dans la rue des Remparts (bleu clair, n° 7). Dans cet ample périmètre qui faisait plus que doubler l’étendue de la première enceinte, la ville s’étalait dans une topographie plus régulière dont les îlots quadrangulaires évoquent un véritable lotissement, comme en connurent la plupart des villes à la fin du Moyen Age. C'est probablement aux XIV et XVe siècles que ces quartiers furent bâtis, comme le montrent quelques éléments architecturaux, notamment des baies, sur les façades des maisons.

Ce développement urbain suscitait parallèlement l’aménagement d’un réseau de communications. Au contact de la lagune et de ses ressources, pêche et salines, de la plaine agricole et des garrigues, Lunel bénéficiait d’atouts et pouvait prétendre au contrôle de la circulation d’Est en Ouest entre Montpellier et la vallée du Rhône, autant que des itinéraires nord-sud empruntant la vallée du Vidourle, vers les Cévennes.
Sur terre, j’ai noté plus haut comment Lunel s’était connectée tardivement au réseau régional, en favorisant le franchissement du Vidourle par la construction du pont dit de Lunel au XIVe s., 2 km en aval de l’antique pont Ambroix par lequel la voie domitienne, délaissée, franchissait le fleuve. Vers le Sud la voie principale était lagunaire, par les étangs de Petite Camargue qui permettaient de circuler en barque à l’abri du cordon littoral, de Montpellier à Saint-Gilles pour gagner ensuite l’axe rhodanien. Mais il fallait pour cela, allant ou venant de Lunel, traverser une zone palustre peu navigable. Très tôt s’imposa donc la nécessité d’un axe de circulation: dès 1228 le roi accorde aux lunellois l’autorisation de creuser un canal. En 1299 une nouvelle autorisation royale permet de le prolonger en direction de la ville. Cette canalisation aboutissait en eau libre dans l’étang de l’Or, près de l’embouchure du Vidourle, et prenait pied sur la terre ferme à la villa Portibus, premier port de Lunel, avant que le canal ne traverse encore quelques kilomètres jusqu’au débarcadère de la Peyrille dans un premier temps (vers 1390), puis jusqu’au port de la ville (en 1728 seulement) qui demeura actif jusqu’au XIXe s., date à laquelle la naissance du chemin de fer en ruina l’activité.

 


Le port de Lunel au début du XXe siècle (collection Atelier d'Archéologie)

 

L’église Notre-Dame du Lac

Attestée dès le Moyen Age, l'église Notre Dame a été entièrement rebâtie au XVIIe siècle après les graves dommages subis durant les guerres de religion (plan, n° 6). De style baroque jésuite, l'édifice conserve un seul élément médiéval, son clocher, tour massive qui se distingue par sa construction en calcaire dur.
Thomas Millerot avait émis dans son Histoire de Lunel publiée en 1891, l’idée que ce clocher avait été bâti au-dessus d’une tour du temps des romains. Cette affirmation ne peut plus être retenue aujourd’hui que l’on connaît bien l’évolution des techniques de construction : dans son plan comme dans ses murs, la tour de Notre-Dame n'a rien de commun avec les constructions de Nîmes ou d’Ambrussum. Dans sa moitié inférieure, la tour-clocher présente au contraire un type caractéristique du 12e siècle avec sa maçonnerie au mortier de chaux et ses moellons de calcaire dur disposés en assises régulières. La construction de l'église hors de la première enceinte explique probablement la présence de cette tour destinée à défendre l'église d'une agression dont la période féodale fut fertile (mais aucun texte n'en parle à Lunel...).
Sur les murs extérieurs on ne distingue aucune ouverture d’origine, les seules visibles étant insérées après coup, probablement au 13 ou 14e siècle. D’après les monuments comparables connus dans la région, à Sommières ou à Sauve par exemple, on peut penser que la première tour formait un seul volume divisé en deux ou trois niveaux par des planchers sur poutres, mais l’intérieur de la construction est masqué par une maçonnerie plus récente. En effet, au contraire des murs externes, les parements intérieurs sont édifiés en pierre de taille de calcaire tendre. En observant en détail les ouvertures aux deux étages inférieurs, on voit que cette construction est plaquée contre une maçonnerie plus ancienne: il s’agit d’un chemisage interne nécessaire à la construction des voûtes qui portent désormais les étages. C’est à ce moment-là -au XVe siècle ?- que furent créées ou transformées les ouvertures, qui par leur élargissement marquaient la fin de la fonction militaire de la tour. La partie sommitale, qui porte les cloches, fut bâtie plus tard, probablement lors de la reconstruction de l’église au 17e siècle.

 


Le chevet de l'église Notre-Dame du Lac et son clocher-tour (cliché Cl. Raynaud)

 

L'église des Pénitents

Ancien couvent médiéval des Carmes, racheté après la Révolution Française par la Confrérie des Pénitents blancs de Lunel, l’ensemble dit des « Pénitents » accueille aujourd’hui la maison paroissiale dans les bâtiments conventuels accolés à l'église.
La façade néo-gothique de la chapelle, à laquelle un ravalement récent a rendu sa couleur primitive, a été réalisée au XIXe s. L’intérieur de l’édifice conserve l’empreinte des destructions et reconstructions successives : vestiges gothiques de certaines chapelles latérales côtoient la voûte en arc brisé de la nef datée de 1649, tandis que le décor du chœur et la tribune témoignent des remaniements apportés par les pénitents au XIXe s.
Un clocher-mur s'élève au niveau du chœur et daterait du XIVe siècle. Quelques marches de l’escalier qui permettait d’accéder aux cloches, sont encore visibles depuis la cour.
Dans la cour est visible un important tronçon de la première enceinte de la ville, construit au XIIe ou au début du XIIIe s. C'est au dessus de cette muraille qu'est bâti le clocher de la chapelle.


L'église des Pénitents, son clocher bâti au dessus du rempart (cliché Cl. Raynaud)

 

Un centre commerçant

La convergence des rues vers la porte Notre-Dame, visible sur le plan, montre l'attraction particulière qu'exerçait ce quartier. C'est la que s'était développé, hors de la première enceinte, le centre économique de la ville, son marché. La place des caladons, avec ses maisons à arcades (celles que l'on voit aujourd'hui ne datent que des XVI-XVIIe siècles) devait abriter les étals. A son entour les noms des rues, actuels ou anciens, témoignent de l'activité commerçante : rue Fruiterie, rue des Cambis (des Changeurs), rue de la Draperie Rouge, halle aux poissons près de la porte (l'actuel Office du Tourisme).
La construction des halles à la fin du XIXe s. ne s'est guère éloigné de ce centre commerçant qui s'était ainsi développé entre l'église Notre-Dame et la porte de la ville, entre pouvoir religieux et pouvoir civil.


Photo ancienne des Caladons (collection Atelier d'Archéologie).

 

Un trésor bibliophile

Face à l'église, un autel particulier du début du XVIIIe siècle abrite le prestigieux Fonds Médard, bibliothèque riche de 5000 ouvrages rares et précieux. Ce trésor a été légué à la ville par Louis Médard (1768-1841), notable enrichi dans le commerce des "indiennes", ces fameuses toiles de coton imprimé. Bibliophile averti, Médard avait amassé un fonds considérable comportant notamment des manuscrits du Moyen Age, un exemplaire sur grand papier de l'Histoire Naturelle des oiseaux, de Buffon, les Fables de la Fontaine dans l'édition des Fermiers Généraux illustrée par le célèbre graveur Oudry, un exemplaire de la Constitution de 1789 ayant appartenu à Louis XVI, ainsi que de précieux ouvrages d'histoire régionale.
Un trésor jalousement gardé, qui mériterait une plus large mise en valeur...

L'ombre de Jean Hugo...

Arrière petit-fils de Victor Hugo, Jean Hugo s'installa à Lunel dès les années 1930, dans son domaine du Mas de Fourques où il résida jusqu'à ses dernières années (1894-1984). Décorateur, peintre, graveur et mémorialiste, Jean Hugo a laissé une œuvre prolixe où les paysages du Lunellois figurent en bonne place. Ses mémoires donnent un éclairage très personnel sur la vie locale au milieu du XXe siècle.
Personnage attachant, pétri d'humanité, Jean Hugo a laissé un souvenir vivace chez les lunellois. On peut faire sa connaissance grâce à l'ouvrage que lui a consacré Robert Faure : Avec Jean Hugo.

Pour en savoir plus...

Ces quelques éléments restent à compléter par d’autres recherches qui pourraient être conduites à l’avenir dans le cadre du laboratoire d’archéologie de l’Université de Montpellier, où l'on s’efforce de favoriser les travaux sur l’histoire de Lunel. Espérons qu’un jeune chercheur entreprenne prochainement une thèse d'histoire ou d'archéologie qui manque cruellement à ce jour.
Le passé de Lunel a beaucoup d’avenir ! Puisse la restauration du clocher en faire mesurer la richesse aux lunellois !

Une visite guidée de Lunel est proposée gratuitement tous les jeudis à 10h du 28 juin au 30 août.
Inscription obligatoire à l'Office du Tourisme (04 67 71 01 37).
Renseignements auprès de l’Office de Tourisme de Lunel.