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Bref historique et présentation du patrimoine architectural

par Claude Raynaud, archéologue au CNRS

 

Le village d’Aimargues est établi dans la basse vallée du Vidourle, entre garrigue et Petite Camargue. Avec près de 4000 habitants, c’est l’un des principaux centre de peuplement de la plaine littorale, et ce depuis le Moyen Age. Par son ampleur, par la diversité de son architecture, ce village permet de découvrir ce que fut, à travers les âges, le cadre de la vie rurale dans la région littorale du Gard.

Profondément marqué par la prospérité de la viticulture à la fin du XIXe siècle, le patrimoine architectural d'Aimargues conserve néanmoins de notables vestiges de la fin du Moyen Age et des siècles qui suivirent. Rasés au XVIe s., les remparts ont laissé la place aux boulevards de ceinture. La façade de l'église a été entièrement rebâtie avec celle de la mairie attenante, dans un style d'une rare lourdeur et démuni du moindre esprit méditerranéen.

Le territoire communal et le village ont fait l’objet en 1998 d’un inventaire archéologique systématique, sous l’égide du CNRS et du Ministère de la Culture. Ce recensement a permis d’identifier trente trois établissements, habitats de taille très variable depuis les grandes villas carolingiennes de Saint-Rémy, Saint-Gilles ou Teillan, jusqu'à de petites installations, habitats secondaires ou temporaires, voire même bâtiments liés aux travaux des champs. Cette base de données permet de suivre les étapes du peuplement des vallées du Vidourle et du Vistre, depuis le Néolithique jusqu’à nos jours... une histoire riche et complexe qui méritera un développement ultérieur.

Historique

Le nom d’Aimargues dérive d’Armacianicum, nom d’une villa mentionnée pour la première fois en l’an 813 dans un texte de l’abbaye bénédictine de Psalmodi, qui était propriétaire d’une partie de son territoire et de son église. La villa Armacianicum est ensuite souvent mentionnée du Xe au XIe siècle dans plusieurs textes qui permettent d’en définir l’organisation. La villa de l’époque carolingienne est un centre de peuplement, une sorte de village avant la lettre avec son église, son cimetière, le tout encore mal groupé mais placé au cœur d’un territoire agricole.
Comme tous les noms de villages d’étymologie latine, le nom Armacianicum a fait retenu l’attention des historiens du XIXe siècle, qui croyaient y voir un héritage de la période romaine. En réalité, les archéologues ont montré que ces villages n’avaient qu’exceptionnellement des origines antiques, et l’on pense aujourd’hui que ces noms apparaissent plutôt à la fin de l’époque romaine ou au début du haut Moyen Age, entre le Ve et le VIe siècle, lorsque apparaissent ces nouvelles formes d’habitat.

Bien plus restreint que l’actuelle commune, ce territoire voisine le territoire d’autres villas, celles de Nodels à l’est, de Teillan au sud, de Vénérargues à l’ouest et de Malaspelles au nord. C’est après la désertion de tous ces villages avortés, que le territoire d’Aimargues prit progressivement une plus grande extension.
Aimargues subsiste et se renforce durant ce processus que les chercheurs nomment incastellamento, mot qui désigne, à partir du latin castellum, d’où viennent l’occitan castel et le français château, le regroupement des populations autour des châteaux que l’aristocratie féodale bâtit autour de l’an mille. Si l’on ne connaît pas l’origine exacte du château d’Aimargues, on sait qu’il existait avant 1185, date à laquelle est mentionné le castrum Armasanicarum, placé sous la coupe de la puissante famille d'Uzès. Ce processus s'opère au détriment des villas périphériques, mentionnées précédemment, dont les recherches ont montré la disparition entre la fin du XIIe et le XIIIe siècle. Ces anciens pôles, absorbés par la croissance du castrum, subsisteront cependant jusqu'à la Révolution sous la forme de prieurés, coquilles vidées de leur ancien peuplement.
Aimargues devient dès le XIIIe s. l'un des principaux castrum –le nom désigne désormais le château et l’agglomération formée autour- de la région nîmoise, avec titre d'archiprêtré. Un recensement de 1328 enregistre 520 feux, ce qui donne une population de 2080 habitants au minimum, auxquels il faut ajouter 100 à 200 pauvres ou indigents absents des inventaires de contribuables. Cela en fait un petit centre très dynamique, à l’échelle de la population de l’époque. Aimargues accèdera à un rang de chef-lieu en devenant viguerie en 1540. Plus honorifique et sans effet sur l’activité du bourg, la seigneurie devient une baronnie en 1632.

Topographie

Un peu à la façon des cernes de croissance d’un arbre, la topographie d’une ville révèle les étapes d’une naissance et d’un développement. C’est ce que montre un cliché aérien réalisé par Gérard Chouquer (CNRS) en 1986, révélant une formation du village en plusieurs noyaux concentriques.


fig. 1 : Photo aérienne du village d’Aimargues (cliché G. Chouquer, 1986)

Ce cliché montre en particulier un noyau initial de forme trapézoïdale, interprété comme la première enceinte du castrum, et d'autre part autour de l'église un enclos naviforme, ayant laissé sa marque dans le développement urbain. Si l’on connaît des enclos fortifiés autour de nombreuses églises, et si ces enclos ont parfois influencé fortement le développement urbain, on doit pourtant abandonner l'hypothèse d'un enclos ecclésial ancien autour d'une église bâtie en 1865 ! Déjà contredite par l'orientation nord-sud de l'église, incompatible avec un édifice médiéval toujours orientée vers l’est (l’orient, d’où orienté !), l'hypothèse est par ailleurs contredite par la localisation de l'église initiale dans la rue de l'Horloge, avec une orientation classique, ce qui règle cette question.

En ce qui concerne la croissance du castrum, le plan cadastral du début du XIXe siècle permet d’affiner la lecture, en identifiant un noyau plus petit et plus central, qui s’impose comme premier noyau bâti, autour duquel toute la trame urbaine s’est ensuite greffée (plan 2, secteur 1)


fig. 2 : Plan cadastral du XIXe siècle révélant les quatre étapes de la croissance (DAO M. Ott, Atelier d’Archéologie, Lunel-Viel)

Délimité par les rues de l'Horloge, Saint-Jean et de l'Eglise, ce noyau quadrangulaire irrégulier, de 40 à 45 m de côté, couvre environ 1800 m2. Clos sur lui même, cet îlot n'est pas traversé par les rues qui rayonnent tout autour pour desservir le reste du village. Les constructions, parmi les plus petites et les plus imbriquées du village, se développent autour d'un espace vide, deux grandes cours qui pourraient pérenniser un ancien espace public. Le second noyau enveloppe le précédent et couvre un quadrilatère de 120 à 135 m de côté, pour une surface d'environ 1,6 ha entre les rues de la Croix (ouest), de la Clastre (sud), Roger Bernard (est) et de la Gendarmerie (plan 2, secteur 2). Le bâti y est aussi dense que dans le premier noyau, les rues sont étroites et le seul espace public, le Plan Saint-Jean, demeure exigu. La trame du quartier a subi d'importantes amputations modernes, avec au nord l'ouverture de la place Mont-Redon, certainement au XVIIIe s., puis au XIXe s. la reconstruction de l'église et des maisons adjacentes, au nord-ouest, de la mairie au sud, et plus récemment la démolition d'un îlot derrière la mairie.

Le troisième "cerne" de croissance correspond à la moitié nord de la grande enceinte encadrée aujourd'hui par les boulevards ombragés qui font l'agrément du village (plan 2, secteur 3). Cette enceinte s'étend sur plus de 400 m du nord au sud pour 260 m d'est en ouest, avec un rétrécissement à l'angle sud-est. Sans commune mesure avec les deux étapes antérieures, cette emprise d'environ 13 ha correspond à l'extension de la fin du Moyen Age, comme l'indiquent par exemple les vestiges gothiques de la rue Roger Bernard, hors de la seconde enceinte. La trame urbaine trahit le remplissage progressif de cette nouvelle enceinte. En effet, tandis que les quartiers nord et est sont desservis par une voirie étroite et tortueuse, découpant des îlots irréguliers, les quartiers sud témoignent d'un urbanisme maîtrisé sous forme d'un lotissement en îlots rectangulaires, eux-mêmes divisés en parcelles régulières (plan 2, secteur 4). A l'angle nord-est de la grande enceinte, le château, rasé depuis le XVIIe s., constitua certainement l'un des pôles d'attraction de cette croissance, comme le montre le réseau tortueux des rues encadrant le Plan du Château. Il ne fait aucun doute que le castrum s'est d'abord développé en direction du nord et de l'est, puis vers le sud. La chronologie de cette croissance pourrait être précisée par un travail d'archives et par une étude architecturale plus poussée.
S'ils fixent les grandes lignes de l'histoire urbaine, l'analyse morphologique et l'examen architectural n'autorisent pas à en dater les étapes. Il faudrait pour cela pratiquer des sondages et des fouilles en différents points, à l'occasion de travaux de voirie ou de restauration qui ne manquent pas dans le centre ancien. En 2000 des travaux de réhabilitation dans une maison à baies gothiques, rue Saint-Jean, ont donné lieu à un premier sondage conduit par l’association Litoraria. D’autres fouilles pourraient être effectuées à l’occasion du réaménagement de la place derrière la mairie, précisant l'étude d'un cas si emblématique de la croissance urbaine médiévale en Bas-Languedoc.

Patrimoine architectural

De nombreux éléments d’architecture médiévale sont visibles dans la rue Roger Bernard, au n° 11 dont la façade possède deux baies géminées gothiques en arc brisé, à décor figuré dans les écoinçons. La porte de l'édifice date du XVIIIe s. mais un relevé architectural permettrait une meilleure compréhension de l'ensemble.

 


fig. 3 : Baie gothique rue Roger Bernard
(cliché Cl. Raynaud)

Dans la même rue, on voit au n° 13 un belle porte du XVIIIe s. Dans l'étroite rue Saint-Jean, on observe à hauteur du 1er étage dans un édifice sans numéro, une petite fenêtre à demi-meneau, dont l'appui est porté par un corbeau décoré d'un visage humain.


fig. 4 : Fenêtre gothique rue Saint-Jean
(cliché Cl. Raynaud)

Les XVIe-XVIIe s. ont aussi marqué le village, malgré les crises traversées lors des guerres de religion, particulièrement tragiques dans le bas Languedoc. En 1616, le château fut démantelé afin de ne pas offrir un point de résistance en cas de siège. A son emplacement furent construites des arènes au XIXe siècle, avant de céder la place dans les années 1970 à un jardin public. En 1629, après plusieurs sièges, les remparts furent démantelés sur ordre de Richelieu.
La Tour de Fayard, belle construction renaissance encore visible sur une carte postale du début du XXe siècle, a beaucoup souffert. Les travaux de démolition réalisés dans les années 30 ou 40 n'ont laissé subsister que sa partie inférieure, portant encore la base moulurée d'une tourelle d'angle.


fig. 5 et 6 :
Base conservée de la tour Fayard (cliché Cl. Raynaud)
Carte postale ancienne de la tour Fayard (carte postale ancienne, doc. Litoraria)

Formant l'angle du Plan Saint-Jean, cette tour appartenait certainement à une demeure seigneuriale.
Trois kilomètres au sud du village s’élève le château de Teillan, belle construction des XVII-XVIIIe siècles, classé Monument Historique. Dans le parc, outre un immense puits à noria, on peut voir une collection d’antiquités, bornes et épitaphes romaines réunies par le propriétaire des lieux, « antiquaire » du XVIIe siècle (c’est ainsi que l’on nommait alors les archéologues).

Le XVIIIe siècle voit s’opérer une véritable mue du village, avec la construction ou la reconstruction, dans le goût du moment, de nombreux bâtiments. De nombreuses façades portent la trace de cette période d’aisance, qui voit les fenêtres s’élargir et les portes prendre un air citadin, dans le style classique qui était alors en vogue. Une visite attentive du village permet de comprendre l’adaptation à la campagne de l’architecture urbaine. L’élaboration la plus aboutie est visible au Plan de Cray où l’on peut observer un bel hôtel particulier.
En ce siècle où l’on commence à rechercher un peu de confort, l’alimentation fait un appel de plus en plus fréquent à l’usage de la glace, qu’il s’agisse de conserver les denrées ou de préparer des sorbets. Les familles aisées mais plus encore les communautés, se dotent alors de glacières, grandes cuves à glace d’usage privé ou public. Une première glacière fut bâtie en 1700 puis démolie ne 1765 ; puis une seconde fut construite en 1786-1788, qu’Aimargues a la chance d’avoir conservée, à la sortie sud du village, vers la cave coopérative. C’est un petit bâtiment circulaire à toit en coupole, protégeant une cuve dans laquelle on versait la glace en hiver en la couvrant de paille afin qu’elle se conserve jusqu’à l’été. Après être restée en service jusqu’en 1906, la glacière a fait l’objet d’une restauration dans le cadre d’un chantier-formation de l’ANPE en 1990-1991.

Le XIXe siècle a imprimé lui aussi une marque profonde sur le cadre villageois avec la construction d’une série d’édifices publics. C’est d’abord le temple, bâti en 1824 sur fonds privés des protestants du village.

A l’occasion de la construction de la mairie et de l’église à la fin du XIXe siècle,


fig. 7 : L’église néo-gothique Sainte-Croix
(carte postale ancienne, doc. Litoraria)

la place a perdu la moitié des bâtiments à galerie voûtée qui l'encadraient depuis le Moyen Age et abritaient le marché.


fig. 8 : La mairie du XIXe siècle à gauche et les anciens couverts au fond
(carte postale ancienne, doc. Litoraria).

L'église paroissiale Sainte-Croix, apparue tardivement, probablement dans l’élan des croisades, a été ruinée pendant les guerres de religion puis rebâtie en 1611 comme en témoigne la date portée par une clé de voûte. C'est aussi au XVIIe s. qu'elle a pris le double vocable de Sainte-Croix et Saint-Saturnin, lors de la sécularisation de l'abbaye de Psalmodi à qui appartenait le prieuré de Saint-Saturnin-de-Nodels, établi aux abords sud d'Aimargues depuis l'époque carolingienne. En 2003 des fouilles effectuées sur le site de Nodels ont mis au jour un secteur du cimetière, dont les plus anciennes tombes étaient contenues dans des sarcophages du VIe siècle. Des tombes de diverses périodes ont été identifiées, jusqu’aux plus récentes qui peuvent remonter au XVIe siècle.


fig. 9 : Vue des fouilles de Nodels
(doc. Litoraria)

Lors de sa transformation en halle en 1870, l'édifice a été amputé de son chevet et de sa façade mais il a conservé ses voûtes d'arête à arcs doubleaux moulurés. L'église a aussi conservé un mur d’origine visible dans la rue de l'Horloge, caractérisé par un appareil alterné et par une porte en plein cintre. Aujourd'hui baptisé salle Georges Brassens et consacré aux spectacles et expositions, le bâtiment a été soigneusement ravalé.


fig. 10 : Vue latérale de l’église du XVIIe, entre les horloges de l’église et de la mairie
(cliché Cl. Raynaud)

Une nouvelle église a été bâtie entre 1864 et 1869 dans le style néo-roman/néo-gothique le plus mièvre, sur les dessins de M. Revoil. L'architecte diocésain ne manqua pas cette occasion de manifester la vigueur de la foi papiste, longtemps menacée par l'esprit de la réforme. Pour caser cette réalisation colossale qui écrase le cœur du village, il fallut l'orienter dans le sens nord-sud. Mais enfin, l'église "possède le corps de Sainte Artimidora, martyre, trouvé en 1864 dans la catacombe de Saint Calixte" ... On lit sur sa façade une inscription étonnante : « Liberté, égalité, fraternité » qui fut apposée lors de la victoire aux élections de 1905 de la gauche républicaine et anticléricale contre les royalistes.
C’est à la fin du XIXe s. que les anciens remparts et leurs fossés sont aménagés en promenade ombragée, ceinturant le centre ancien sur près d’un kilomètre de développement. C’est au bord de cette esplanade, au sud du village, que fut aménagé un lavoir vers 1875. Jusqu’alors, les « bugadières » (lavandières en occitan) devaient parcourir 3 km pour faire leur lessive au bord du Vidourle. Quelques années après sa construction, pour pallier le faible débit du ruisseau, le lavoir fut alimenté à l’aide d’une machine à vapeur.

Bonne visite et merci.

Post-scriptum : au hasard de sa déambulation et au gré des saisons, le visiteur pourra rencontrer une étrange manifestation de joie accompagnant la chevauchée de cavaliers cherchant à canaliser quatre à cinq taureaux noirs que les piétons surexcités tentent au contraire de faire échapper.


fig. 11 : Scène de bandido lors de la fête d’Aimargues
(cliché O. Callériza)

Que le visiteur ne s’inquiète pas autrement que pour sa propre sécurité ; quand aux excités ils sont à leur affaire, ils jouent et rejouent un jeu très ancien, un jeu camarguais : l’abrivado ou la bandido, le sens et le nom changent selon le moment de la journée. Nous expliquerons sur une autre page la dimension sociale et historique de cette tradition. Qu’il soit dit seulement que l’une des figures historiques de la tradition Camarguaise, Fanfonne Guillerme, vivait à Aimargues (1895-1989). Sa mémoire est honorée par un buste placé dans le jardin public qui occupe l’emplacement de l’ancien château.

Pour en savoir plus : l’histoire d’Aimargues est relativement bien connue. L’ouvrage de Jean Vidal publié en 1906 (Monographie de la ville d'Aimargues) a été réédité par Lacour, à Nimes, en 1990. Il donne encore une documentation appréciable, mais il est dépassé par le travail de longue haleine entrepris par Jean-Louis Py qui a produit plusieurs volumes :

  • Aimargues, pendant la tourmente révolutionnaire 1788-1799, Lacour 1989
  • Histoire d'Aimargues de 1799 à 1851 - Ed. Lacour - 1992
  • Histoire d'Aimargues de 1852 à 1900 : vie quotidienne, société, 1996
  • Histoire d'Aimargues de 1852 à 1900 : Bleus, Blancs et Rouges, 2007